Marie-Estelle
Dupont

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Réponse au père de mon fils sur l’euthanasie et autres intrusions étatiques.

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Récemment je dinais avec un ami médecin qui travaille en soins palliatifs. Nous parlions de l’euthanasie, du vécu des soignants dans les services, des indignations d’associations de bords opposés et je lui faisais part de mon malaise avec le fait que sur des sujets aussi délicats et intimes, Etat et médias déboulent avec leurs gros sabots et me poussent dans le dos pour que je pense d’une certaine façon. Quand on exerce la profession de psychologue, la définition de ce qui est bon est, dans un certain cadre moral fondamental, relative à chaque personne et différente selon le moment et les circonstances, mais aussi selon les ressources psychiques et physiques de la personne. Une réponse valable pour quelqu’un à un moment T 0 ne l’est plus nécessairement à T 2. L’individu est regardé de manière holistique, dans ses dimensions bio-psychoaffectives et également intellectuelles, sociales et religieuses, au sein d’un environnement spécifique en perpétuelle évolution. Par conséquent, cela va de soi, l’avortement d’une adolescente violée par son frère n’est pas comparable à l’avortement de confort d’un couple qui prend la pilule un jour sur deux et se trouve pressé de déménager le cas échéant.
Et au fond, je trouve que je n’ai pas à m’en mêler, même s’il est de mon devoir de soignant de rappeler que l’avortement n’est pas un moyen de contraception et qu’il faut cesser de le banaliser et de dénier l’impact psychique de cette décision sur le psychisme de l’intéressée, même si elle le vit bien sûr aussi comme une libération. Il est plus facile d’avouer dans notre société que cela est libérateur que de dire que c’est aussi un traumatisme et c’est le problème que je voudrais souligner. Nous sommes libres de dire la moitié de la réalité. Quel médecin, quel proche, quel politicien entendra réellement qu’avorter vous a crevé le cœur et plongé dans des envies suicidaires des mois durant ? Qui rappelle les risques multipliés de cancer suite à cet acte ? Peu, très peu de soignants, de politiciens ou d’essayistes, et les rares qui le constatent se font traiter de fascistes rétrogrades obscurantistes et puritains. Mamma mia ! Je vais en prendre pour mon grade.

Cette discussion avec Paul fit remonter à la surface un échange du même ordre avec le père de mon fils, il y a des années. Il se demandait s’il était pour ou contre l’euthanasie. Et il m’avait envoyé un mail du bureau un jour en me disant « je crois que j’ai besoin de tes lumières de psy pour savoir pourquoi je ressens autant de dégoût et ce que je dois en penser ». Je lui avais répondu que mes lumières ne me semblaient pas brillantes à force de passer ma vie dans la pénombre de l’inconscient humain mais que je ferais de mon mieux. Je crois que le problème est mal posé. La question n’est pas de savoir si on est pour ou contre. Est-ce qu’on est pour ou contre le suicide ? Pour ou contre les orages ? C’est débile. On peut parfaitement comprendre que quelqu’un souhaite en finir avec la vie, il n’y a rien de choquant là-dedans. Il faut essayer de l’en empêcher bien évidemment, mais on ne peut pas être contre le désir de mourir et le critiquer alors qu’on n’est pas prêts personnellement à investir la moitié de notre temps à lui redonner goût à la vie en le choyant est une pure hypocrisie. La vie est brutale, nos mutilations existentielles sont légion, un peu d’indulgence quant à l’envie de mourir. Le problème n’est pas d’être contre, il n’y a pas d’avis ou de jugement à avoir sur un désir. Il est, c’est une réalité, point, on peut essayer de l’influencer mais il faut commencer par l’admettre avant de s’indigner. Parce que le problème de ce genre de débat c’est que tout le monde s’indigne. « Quoi ? ! Tu es contre ? Hein ! ? Tu es pour ? » Super. Soyons scandalisés pour tout et son contraire, ça n’avance pas pour autant. Mon mari me disait qu’il n’arrivait à trouver de réponse et qu’il cherchait dans la morale, dans la religion, en vain. Je lui disais que ce en vain était le symptôme d’un problème mal posé. Ce que ces débats montrent surtout, c’est qu’il y a un problème majeur à laisser l’Etat légiférer sur l’intime. Tout simplement parce que lorsque l’Etat autorise, on lui donne le pouvoir d’interdire. Toute liberté inscrite dans un Dalloz devient une liberté fragile, qu’un pouvoir autoritaire pourra réviser 5 ans après. Nous avons lutté contre une société patriarcale, avec des patrons paternalistes mais nous demandons à l’Etat d’être notre mère.

Quand les Enarques ultra conditionnés se souviendront entre leurs névroses et leur narcissisme obsessionnel qu’ils gouvernent des personnes, et pas des « agents » ou des indices statistiques d’une courbe de Gauss, la société pourra à nouveau respirer. Car le vice de l’affaire c’est qu’on est priés de penser d’une certaine façon alors qu’il y a réellement un tas de sujets et de questions dont chacun d’entre nous n’est pas en mesure de penser quelque chose tant qu’il n’a pas pris le temps de longuement réfléchir et s’informer. Je n’aime pas qu’on me demande d’avoir un avis sur tout ou de réfléchir coûte que coûte avec des informations archi biaisées. Parce qu’au final on ne pense pas, soit on prend le dernier avis, le plus convaincant, soit on ne raisonne qu’avec sa tête, soit qu’avec son épiderme et au final on peut émettre un avis très éloigné de ce que l’on penserait réellement si on avait pris le temps. Et que concernant l’euthanasie, une fois retiré notre malaise face à la souffrance et un tas de considérations économiques sur la charge des personnes âgées en termes de finances publiques, il est possible que l’on pense autrement. Certain, non, possible, oui.
Donc avant d’assimiler le progrès de la société à de nouvelles lois passées coûte que coûte de peur d’être rétrograde, il serait sain de se souvenir que chacun peut penser, qu’il en a le droit, et qu’il ne faut pas affirmer qu’on lui en donne les moyens, car c’est un mensonge. Dès l’école nos enfants sont éduqués pour ne pas penser. Quand le fonctionnement du corps et des émotions sera au programme des maternelles, on en reparlera.
Pour en revenir à ce débat si délicat que le fait de légiférer sur la vie et la mort par l’individu administrée, je crois d’abord qu’il suscite des réactions épidermiques parce qu’il s’agit précisément de notre peau, de la sauver ou pas, et comment. Il y a un gouffre entre « on lui souhaiterait de mourir, tellement sa vie est un cauchemar avec sa maladie, les maltraitances dans la maison de retraite, la mort de papy » et « passons à l’acte elle en meurt d’envie ». Visiblement, non. La facon dont nous percevons la souffrance des malades n’est pas leur vécu. Il importe de le rappeler car il est des cas très pervers d’incitation au désir de mourir. Quand on sent qu’on dérange, qu’on est abandonné, comment avoir envie de rester dans des conditions de santé effroyables ?

Quand l’Etre veut tenir, il tient. Je le sais d’expérience intime et professionnelle. Quand il est prêt, il part. c’est tout. Parfois il voudrait vivre et meurt quand même. Mais s’il ne s’éteint pas c’est peut être qu’il est encore sous les apparences figées, dans un moment de sa fin de vie qu’il lui faut pouvoir vivre, nom d’un chien et même si nos codes modernes nous font penser que non c’est une atteinte à sa dignité. C’est sûr que claquer, ça n’impacte pas la dignité. Certains grands pervers narcissiques disent d’ailleurs qu’ils ont prévu quand et comment ils mourront pour que leur image ne soit pas altérée et qu’ils laisent le souvenir d’être beau et fringant. On sent que la psychose n’est jamais loin derrière le pervers.

Ce qui est crispant de mauvais goût est la manière dont on veut avoir raison dans ce débat. Il s’agit de la mort de personnes, est- ce qu’on peut faire pouce deux minutes dans nos raisonnements ex nihilo soi-disant étayés d’empathie ? L’empathie comme la dignité, comme l’amour, sont devenus des mots galvaudés et instrumentalisés pour y fourrer tout et n’importe quoi et cela est irritant parce que ça sème la confusion.

A mon mari je disais à l’époque, « Tu ne sais pas très bien pourquoi ce débat te met mal à l’aise parce que, tout d’abord il en va de la mort d’autrui et qu’il te reste une conscience morale et un soupçon d’éthique. Que manipuler le vivant fait frémir, pour autant que l’on ne soit pas totalement psychopathe. Tu es mal à l’aise car ceux qui décrivent comme rétrograde et autoritaire une société où les pères avaient droit de vie et de mort sur l’enfant sont les mêmes à vouloir contrôler la vie et la mort. L’homme frôle ici son diabolique, en Chine on noyait les filles, aux USA on applaudit au transhumanisme, le mal a mille visages, c’est toujours le mal. Comme tu dis, tu cherches dans le domaine du rationnel, du religieux, et du moral.
Or de nos jours et sous nos cieux, la morale agonise du relativisme, le religieux est remplacé par le culte du narcissisme et l’illusion de la jeunesse interminable (quelle chienlit, parfois), et le rationnel, malheureusement, trop coupé de l’instinct pour faire correctement son travail. Il n’y a qu’à regarder les interactions que nous avons avec des inconnus, nous voulons toujours surmonter notre peur, parfois salutaire, ou notre désir, parfois salutaire aussi pourtant. A force de mentaliser comme si l’émotion était la folle du logis, notre cartésianisme nous fait mourir avant l’heure et sans euthanasie et nous a rendu prévisibles et chiants. Donc ta psy de femme va te donner son humble avis : Tout d’abord, comme le désir, la sexualité, les naissances, je ne vois pas ce que l’Etat a à foutre là-dedans, s’il pouvait avoir la décence de s’en tenir aux fonctions régaliennes, ça nous ferait de l’air, parce qu’il y a quelque chose d’effroyable à ce que le législateur pénètre ainsi l’existentiel. Sur les questions qui concernent si directement l’Etre, l’âme, la vie, s’il pouvait s’abstenir, cela éviterait d’infantiliser les gens et de s’approprier leurs questionnements.

Et surtout de mettre ces questions au niveau du débat sur la durée des vacances de Toussaint et du temps imposé de sieste sur aire d’autoroute. Parce qu’on peut s’euthanasier propre, avorter dans sa salle de bains, mais il faut manger cinq fruits par jour et faire un dodo sur la route, sinon on est dangereux. Si j’ai oublié mon lapin et ma tétine, et que mon kiwi n’est pas bio c’est bon quand même ?? Il faut éviter que la mort soit sale et violente mais aussi qu’elle se fasse attendre, on doit choisir la couleur des yeux de nos enfants et quand ils vont naître et quand je vais mourir, bref il devient synonyme de modernité de toute contrôler et de défier la nature, j’ai comme l’impression qu’il devient synonyme de modernité d’être complètement demeuré et dénué de bon sens.
Et au fond oui, on peut s’euthanasier propre, pourquoi pas, on a le droit de suicider, parfaitement, dès lors que l’on n’est pas catholique (c’est un péché mortel, rappelons-le, il faut bien que le dépressif sache qu’après cela il sera privé de paradis, même si l’inverse n’aurait pas réussi à lui remonter le moral). Le problème n’est pas là. Le problème, c’est la façon indécente dont on en parle, de façon clivée, froide et déconnectée de toute humanité, et aussi peut-être, tel que je te connais, qu’aujourd’hui l’Etat nous donne la permission d’avorter, de liquider le bébé qui se pointe parce que maman prend la pilule un jour sur deux, et le vioc dont on a décrété que puisqu’il était dépendant cela devait être par trop affreux et qu’il fallait prendre sur nous la décision de le soulager de ses souffrances. Cela te pose un problème car tu répètes toujours qu’il faut avoir des principes pour éviter de se mettre en danger. Moi je crois que les principes peuvent aussi nous mettre en danger, notamment dans l’amour et la santé mentale, en danger de passer à côté de soi et de son âme, et qu’il faut surtout accepter que dans ces situations, seul le cas par cas existe et que l’Etat ne doit en aucune manière faciliter une pente ou punir une décision. Il doit, même si le vide juridique est imparfait et dangereux se retirer de là. Je préfère qu’il y ait quelques procès intentés par des familles suite à des décès ou inversement des signalements de médecins qui doutent du bien- fondé de la demande qu’une vague de suicides imposés comme on voyait au Japon lorsque les retraités allaient dans la montagne se donner la mort pour cause d’inefficacité.

Je sais que mes propos en choqueront plus d’un. Mais nul ne saisit le paradoxe à réclamer sans cesse plus de liberté, à dire que le passé est réactionnaire et rétrograde, mais à attendre de l’Etat d’avoir prévu toutes les situations. Les parents et les profs ne doivent plus rien interdire, mais l’Etat doit nous secourir toutes les trois secondes. Ce communisme à la sauce twitter m’horripile, qui balaie d’un grand revers de pseudo bienveillance toutes les nuances, toutes les différences, toutes les catégories dans les problèmes humains. Pseudo bienveillance, pseudo tolérance, qui est en fait un cynisme irresponsable portant le masque de la naïveté, comme toutes les formes de cynisme exacerbé. Je crois que ce qui te choque, c’est que tu te dis que personne ne se demande la chose suivante : est-ce la personne âgée que l’on soulage, ou nos yeux si sensibles de nos jours à l’esthétique du spectacle inconvenant d’une personne “inutile”, pas glamour, qui a mal et nous renvoie à notre impuissance à l’aider et à la part de nous qui tôt ou tard s’est trouvée et se trouvera à nouveau, dépendante, malade, invalide, désorientée, incapable de communiquer sa pensée, perdant jusqu’à son sentiment d’identité.
C’est nous d’abord. Comme pour les droits de l’homme, c’est d’abord à nous que nous faisons du bien, parce que vraiment, qu’est-ce qu’on est empathiques et épatants d’aller ainsi au-devant des besoins des autres.

Le deuxième élément qui te donne la nausée, c’est la disparition du sacré, cette béance qu’il y a dans le discours: après la météo et avant l’annonce d’un sélectionneur de foot, on vous parle de façon fort factuelle, opératoire et parfaitement neutre de l’avortement (magnez-vous de prendre vos comprimés mademoiselle, vous n’avez plus que deux semaines, après, c’est interdit : ah bon, bah j’y cours alors, des fois que ça deviendrait un bébé pendant mon sommeil) et de l’euthanasie, comme si c’était tout à fait banal, alors que bon sang, on est juste en train de parler de la vie et de la mort, et que par un déni affiché, revendiqué, on veut y appliquer “le traitement des affaires courantes”.
Sauf que c’est le début et la fin de tout, alors je sais bien que les formes, c’est fasciste, que la nov-langue sms et télé-réalité fait des émules, mais si l’Etat pouvait s’abstenir de parler lorsqu’il vide les choses du spirituel, cela ferait du bien au psychisme de nos enfants futurs adultes. Je parle ici du spirituel par opposition à matériel et non au sens de religieux.
Ce qui est choquant, c’est cette façon qu’ont politiques et journalistes d’évider, de creuser tout ce qui leur tombe sous la main, pour le réduire au concret et factuel, à l’immédiate frustration du “bébé arrivé un peu tôt” ou “il est devenu incontinent et harcèle sa voisine de chambre”. On semble avoir vraiment oublier que la vie n’est pas que paillettes, et qu’il fut un temps où l’on savait bien que le vieillard après avoir grandi, travaillé, fait naître, transmis, déclinait et redevenait une charge, pour les enfants qu’il avait fait naître. Bébés pas nés, et vieux avortés, morts avant d’être ridés, suicidés après la dernière injection de botox !
Mais leur matérialisme effréné les envoie dans le mur : c’est justement tout à fait concret, et tout à fait infect, cette manière de proposer des lieux pour mourir façon catalogue de club de vacances. La mort devient un épisode dont on peut cocher les options. Je ne suis pas d’accord. Je ne suis pas sadique, je crois seulement qu’il y a une inflation maeure de la conscience qui croit pouvoir tout savoir alors que peut-être la vie et la mort demeurent des mystères à respecter indépendamment de toute croyance religieuse, juste parce que les coordonnées de l’existence et ses conditions sont des garde-fou de notre humilité, un rempart à la démence mégalomaniaque des défenseurs du transhumanisme.
L’être humain qui n’est plus en mesure de se suicider en raison d’un handicap a la possibilité en France d’être accompagné autrement que par un mensonge consistant à lui vendre comme de la liberté et de l’empathie ce qui n’est qu’une façon de s’épargner la charge de son agonie. Les services de soins palliatifs sont choqués par le débat qui est un signe notoire d’ignorance totale de leur travail et de leur ajustement permanent aux besoins des malades. Car pour un mourant, combien de soignants et d’aidants familiaux au bord du gouffre émotionnel ? La souffrance fait partie de la vie, il ne s’agit pas de la louer, mais de sortir de l’illusion selon laquelle on peut l’éradiquer. Euthanasie ou agonie, il y aura de la souffrance dans la mort et aussi de l’apaisement. L’argument selon lequel l’euthanasie ne nie pas le travail des soignants est un grand foutage de gueule. Plus de problème familial, institutionnel ni psychologique tout le monde est content. Pas si vite. Pitié, pas si vite.
Que si au final le fils ou le père d’un patient lourdement handicapé veut faire sa volonté, de l’aider à mourir, très bien mais alors cela doit rester en dehors de l’Etat. Oui j’assume de défendre une zone de non droit, non pour pousser aux assassinats masqués mais parce que je pense que les effets d’une loi sont parfois bien plus incitatifs et orientent la société vers une normalisation de pratiques qui conduisent non seulement à l’illusion de toute puissance mais ensuite inéluctablement à la mort de cette civilisation. Si on additionne avortement de confort, euthanasie débridée et transhumanisme euphorique, l’humanité est morte. Ce n’est pas moi qui suis facho, c’est la réalité qui est têtue. Soustraction + soustraction + soustraction, ça finit par nuire à l’existence.

Mais la psy que je suis a envie d’interpréter ton dégoût : ne vient-il pas de la confusion entre empathie et jeunisme, comme si se soumettre à la peur de la déréliction et obtempérer dans le passage à l’acte était la forme ultime de la générosité. Ton dégoût vient peut-être de la perversité profonde, de la manipulation grossière qu’il y a à avoir fait main basse sur le mot “Dignité”. Ces associations qui créent des lieux pour venir se suicider ont réglé tout conflit éthique : elles défendent la dignité ! Ben voyons ! Donc si on n’est pas d’accord, on est des affreux. La belle affaire. Ca c’est le mal. Le mal, ce n’est pas de se tromper, ce n’est pas de faire du mal. ils ne sont pas fous parce qu’ils auraient tort, ils sont sûrement de bonne foi. Ils sont fous parce qu’ils sont dans la toute-puissance de la raison. Le vrai mal a deux visages: l’incapacité à dire non et du coup, la tendance à être complice du mal (la mère qui ferme les yeux sur un mari incestueux), et la rage qui consiste, quand on a découvert quelque chose de vrai et de valable pour soi, à ne pas supporter que les autres n’y adhèrent pas d’emblée.

Mais je dévie. Quoiqu’il en soit je trouve que la manipulation de langage est indécente eu égard au travail méconnu et ADMIRABLE des équipes de soins palliatifs, comme celle où travaille Paul, du dialogue instauré avec les familles, de la façon dont les malades peuvent dire au médecin “pas d’acharnement, soulagez moi de la douleur en priorité”. Et eux, ils ne travaillent pas à la dignité ? Non c’est vrai, c’est tellement plus digne de dire à quelqu’un comme ça arrive tous les jours en Suisse “désolée, y a plus de chambre, je vous donne le produit et allez mourir dans votre voiture sur le parking”. Parce que oui ça arrive !!! Y a plus qu’à prier pour que la radio diffuse les grosses têtes à ce moment-là.

Le 5° point est une réponse à ceux qui me diraient :”OK pour le législateur, mais il y a des personnes qui veulent vraiment cela, vous n’avez pas le droit de les juger”. C’est exactement ce que je dis, l’Etat n’a pas à intervenir, chacun en son âme et conscience décide d’avorter ou de se suicider, et personnellement, je n’ai pas le pouvoir de condamner, ni les clés pour savoir, seulement ces décisions relèvent du privé et n’ont pas à être encouragées et remboursées par la sécurité sociale. Non ce n’est pas injuste, il faut des systèmes de prises en charge des femmes violées dans lesquels oui les avortements sont proposés gratuitement mais pas mettre au même niveau l’avortement de confort ! vous réalisez la gravité sanitaire pour une jeune femme mal informée de recourir trois ou quatre fois à l’IVG sous prétexte que c’est remboursé ? Et se retrouver le jour où elle veut fonder un foyer, stérile et amochée ? Avec un risque accru de cancer du col de l’utérus ? Ho ! On se réveille !
La mort fait partie de la vie, comme la souffrance. En fait c’est à pleurer de voir comme les valeurs sont inversées.  La souffrance intolérable, insupportable de certaines personnes n’est pas un argument pour donner à l’Etat le pouvoir de légiférer sur le sacré. C’est une réalité et il y a des soignants et il y a un devoir, une conscience morale de chacun d’entre nous, par capillarité, d’aider nos proches qui traversent cela. Commençons par l’assumer, au lieu de refiler la patate chaude à l’Etat sans même se rappeler qu’il est bon de balayer devant sa porte et d’aller prendre soin de ceux que l’on aime, ou à tout le moins avec lesquels on interagit. Si nos mentalités n’étaient pas obsédées par la performance et l’image peutêtre que moins de malades demanderaient à en finir, car ce n’est pas tant la douleur physique) que la souffrance  morale) de se sentir évacué de toute appartenance qui est ingérable pour l’être humain, être de relations.

L’existence est lien, elle est d’emblée réticulaire, à mon tour je vieillirai, à mon tour je ne serai plus efficacité performante et sourire colgate. J’ai frôlé la mort à cause de maladie à trois reprises. A 9 ans, à 20 ans, à 31 ans. Peut-être est-ce pour cette raison qu’elle ne m’effraie pas tant que cela. Mais la manière dont on pose le débat est d’une violence effroyable car elle montre combien on veut éradiquer la souffrance, la vieillesse et la mort de nos cités. Autrefois on voyait et on veillait des morts. La mort fait partie de la vie. Cessons de mélanger le désir de soulager et le désir de fuir ce qui nous met mal à l’aise. L’autre n’est pas moi et je ne suis pas l’autre. Rappatrions nos projections et écoutons, la surprise est possible.

Aider quelqu’un à mourir parce qu’il n’en peut plus et ne peut pas se suicider, c’est une chose. Parler de cette manière de la souffrance humaine, comme d’un débat utile pour gagner des électeurs c’est insupportable.

Ensuite, il y a plusieurs infections dans ce débat. On sent la mentalité rampante du “quand on n’est plus utile, illusoirement auto-suffisant, il faut mourir pour ne pas se voir se dégrader”. c’est ériger en norme une pensée dépressive et psychopathique qui éradique l’être au nom du faire et de l’avoir. mais sans Etre, pas de faire, et pas d’avoir. c’est vendre comme une valeur morale ce qui n’est que le résultat d’une pensée pathologique, délirante, désaffectivée, coupée de notre nature fondamentale.

Et en tant que psychologue, je les vois ceux qui pensent cela. C’est transformer la pensée opératoire, rationnelle et factuelle en philosophie suprême.

En tant que parisienne aussi, comme ce matin d’octobre où descendant les escaliers pour aller à ma voiture, une voisine étalée sur les marches, je m’arrête. Un autre voisin sort avec son casque de scooter à la main et l’enjambe. Je lui dis : « Pardon ? Je ne peux pas la soulever, aidez-moi j’appelle les pompiers ». Il m’a dévisagée avec haine car sûrement il avait un RV urgent et que j’étais une vilaine moralisatrice. Je devais aller au plus urgent, et c’est une bonne chose, car j’avais envie de pleurer devant son inhumanité. Je lui souhaite de bien vieillir et bien entouré, car il risque de morfler quand l’âge lui retirera son fantasme d’immortalité.
Le jour du départ à la retraite, le jour où la peau est résolumment flasque, quelle dépression ! Par mon travail, je les aide à épouser ce temps, ce temps du fruit qui murît, ce temps de plénitude dans le ressenti d’avoir accumulé une si longue et riche expérience de la vie.
Je préfère aider les patients à vivre la transformation, le cap, la phase “descendante” de la vie, après la phase ascendante. Et d’ailleurs les envies de suicide sont moins nombreuses chez les plus de soixante ans que chez les plus jeunes. Car après la réussite, l’ambition, la conquête, le narcissisme glorieux, il n’y a pas “rien”, il y a la vieillesse. Ce doux mot qui va bien au vin et aux arbres sied à l’homme, mais les ados attardés que nous sommes n’en veulent rien savoir. Très souvent c’est pour nous que l’euthanasie serait un confort. Pas seulement pour accélérer l’héritage, mais pour s’éviter le contact avec la réalité. La réalité c’est quatre saisons, c’est la naissance, l’adolescence, la vieillesse, la mort, l’énigmatique de la vie à la fois si puissante et tellement imparfaite selon nos codes fous et narcissiques. Ce sont peut-être eux les vieux, eux les morts vivants, qui comme mon voisin meurent dans leur matérialisme et leur besoin de contrôler leur image, ils meurent comme des hamsters asphyxiés dans leur roue de l’image et de la réussite, parce qu’il n’y a pas de respiration sur l’Etre, pas d’ouverture sur l’âme, ils ne peuvent donc que donner des réponses aberrantes et brutales à des questions qu’ils rendent glauques et qui sont certes douloureuses, délicates, mais pas glauques et surtout jamais tranchées.

Il y a des questions qui doivent rester des questions.

Il y a du travail psychique pour l’humain qui chaque jour doit remettre en route sa pensée sans vouloir clôturer le débat. L’élaboration est une fin en soi, et dans ces domaines le tort ou raison n’a pas droit de cité. a force de rationnaliser et de vivre dans le factuel et dans l’image, nous oublions que nous autres humains avons le privilège d’une pensée et que ce privilège doit rester un plaisir et une richesse chaque jour entretenu. Penser est à l’esprit ce que mâcher est au corps. C’est bon pour la santé.

Il n’y a que des âmes, des corps, des familles, des situations. L’Etat n’a rien à faire là.

Dans l’agonie ou dans l’euthanasie, l’Etat ne sera jamais une aide. L’Etat n’a pas à nous dicter nos affects. L’Etat n’a pas à répondre à une question qui ne peut pas lui être adressée sous peine de régression psychique majeure. Non l’Etat n’a pas réponse à tout. Oui certaines questions sont insolubles en apparence. Mais oui pour chaque personne en fin de vie et en souffrance, il y a une façon de faire qui sera la moins mauvaise possible. Et dussé je y laisser des heures de pratique, je ne trouverai jamais que la solution de facilité est meilleure que l’accompagnement d’un mourant qui quitte la vie doucement, avec des hauts et des bas. J’avais dix-sept ans quand mon grand-père a souffert le martyr d’un cancer, finissant en soins palliatifs avec une perfusion de morphine. J’étais la seule de ses petits enfants à rester des heures. Et je lui suis infiniment reconnaissante de m’avoir donné accès a son chevet, car je lui ai donné tout l’amour que j’avais pour qu’il parte aussi doucement que possible. Tout doucement. Avec de l’angoisse car il était angoissé. Et deux ans plus tard ma grand-mère est partie gaiement, ravie de se sentir mourir parce qu’elle était fatiguée, mais gaiement parce qu’elle était gaie. On meurt avec sa personnalité, même lorsqu’on est atteint d’une pathologie qui nous fait perdre notre identité et nous a aliéné des années. Le moment de la mort est un moment de résurgence de l’Etre dans son Soi profond. Il ne faut pas jouer à saute-mouton avec ces heures de mourance nécessaire à l’âme.

Il ne faut pas s’indigner bêtement d’un avortement ou de l’euthanasie mais je crois qu’il faut encore moins les banaliser et se mentir sur leur portée. Un avortement laisse d’indélébiles séquelles, comme peut-être, une mort mal comprise. Et au risque de me répéter, en tant que psychologue jene dis pas que l’euthanasie est forcément à condamner, je dis qu’il faut se demander à qui l’on pense dans ce cas, et si un autre soulagement n’est pas possible. Or aujourd’hui il suffit d’aller en soins palliatifs pour comprendre que d’autres réponses sont possibles dans de nombreux cas. Peut-être pas tous mais attention à ne pas rendre systématique ce qui doit demeurer exceptionnel et dans l’exceptionnel, l’Etat n’est pas tenu de s’inviter.
Certains soit disant philosophes des temps modernes, au nom du bien et du progrès, défigurent l’Etre, c’est leur côté trop normalien, trop sartrien.
On arrive ici aux confins de l’individualisme forcené. L’Homme est donc si seul, si isolé, qu’une fois diminué il doive périr au plus vite ? Non, nous nous inscrivons dans une chaîne, de générations en générations, et on ne peut de la sorte zapper la transmission; le vieillard s’éteint lentement, le bébé ouvre les yeux et se déplie doucement, des adultes sains et bien portants relient ces deux extrémités d’un même cycle.
Catholique, juif ou athé, on a envie de hurler à entendre ainsi usurper le mot dignité. Parce que la dignité d’un homme, c’est d’embrasser sa condition, courageusement. Avec ce qu’elle contient d’irréductiblement angoissant. Nous sommes dotés de conscience, une conscience à la fois trop petite pour être serein, et trop grande pour être innocent.

A ceux qui réclament cela, je ne peux répondre collectivement, mais un par un, je peux les écouter, dans mon cabinet et j’y découvrirai de la détresse, comme j’en découvre chez les femmes qui me parlent de leur avortement qu’elles semblent pourtant revendiquer. Derrière le “soulagement”, il reste une béance, celle de l’humain rayé, celle de la transcendance squizzée.
J’en côtoie des mourants qui n’en finissent pas de mourir dans des douleurs insupportables. Je n’ai pas envie de leur “offrir” une loi et une piquoûze, je trouve ça un peu facile.
un seul de nos députés qui veut ce projet a-t-il déjà surmonté son propre malaise, sa propre gêne, et tout simplement assumé son impuissance en restant assis près de celui qui souffre, en sachant qu’il ne peut rien faire, qu’il n’y a rien à dire, mais qu’être là et admettre qu’il n’y a pas de solution coûte que coûte, pas de formule toute faite, chimique ou verbale, c’est le partage, c’est l’humilité, c’est accompagner l’autre aux confins de la vie, pour ce passage si douloureux à faire. J’en aurais beaucoup à dire, mes patients m’en ont appris long, comme mes proches qui sont morts ou malades. Une fois surmontée cette appréhension, qui nous fait regarder nos textos frénétiquement et notre agenda en espérant ne pas avoir le temps d’y aller, quelle joie, quelle plénitude, quelle richesse dans la subtile présence qui côtoie celui qui part, qui n’est plus dans l’image. Quelle fraîcheur à quitter la consommation pour la communion !
Le grand mensonge actuel est par omission : on fait comme si de rien n’était dès qu’il s’agit d’âme. Et on en crève, au plan individuel comme collectif. Plutôt que de légiférer sur l’euthanasie, allez donc parler avec ceux que vous aimez de la mort (qui n’est pas une option), de la maladie, allez leur dire ce qui vous fait peur et ce que vous voudriez pour le jour où peut être vous serez dément ou aphasique, et leur demandez de quoi ils ont besoin maintenant, et ceux qu’ils voudraient ne pas regretter le jour où ce sera leur tour.
A force d’ouvrir des parenthèses, je laisse en chemin des éléments importants.
Car cette question touche à plusieurs problèmes : celui du progrès.
Nous sommes dans le contrôle total, le contrôle de la vie à tel point qu’il tue la vie et le naturel. Or la vérité est qu’on ne contrôle pas les choses et que nous sommes en train de dépenser une énergie et un argent fou pour se donner l’illusion qu’on contrôle tout. Donc, devant les progrès techniques incontestables, il y a une lacune de pensée. L’intelligence rationnelle déraisonne et devient folle, à ne pas être pensée. Voilà qu’on peut, d’un simple formulaire, supprimer des bébés, en re-fabriquer d’autres, écourter la vie, écarter la frustration. Je ne confonds pas frustration et souffrance, et d’ailleurs mon propos n’est pas de juger ceux qui veulent se suicider. Seulement cela relève du privé. Cela relève de la concertation entre le malade et ses proches. Je ne crois pas que l’Etat ait à intervenir. Les politiciens qui le croient sont des naïfs et pardonnez moi, des crétins. Fermer les yeux est parfois une question de pudeur.
Je comprends que l’on souffre au point de vouloir accélérer les choses, en finir.
Ce que je refuse, c’est le glissement, la banalisation et l’oubli de la pensée. N’y a t-il pas quelque chose d’absurde à pouvoir prolonger indéfiniment un coma artificiel, et à côté, en appuyant sur un autre bouton, décréter que tel ou tel devrait mourir ? La vraie question derrière cela, c’est celle du progrès en roue libre, de la liberté humaine qui n’est plus liberté mais absence de contraintes. L’Etat laisserait se répandre un fantasme de n’en faire qu’à sa tête avec la vie et la mort. Cette liberté-là est celle, embryonnaire et dangereuse, de la crise d’adolescence. La liberté n’est pas l’absence de contraintes. Notre liberté au sommet est dans la pensée et la délicatesse.
Mille fois oui pour dire que le problème, c’est tout autant de prolonger indéfiniment ce qui sans la technique serait mort naturellement que de précipiter la mort. Car ce qu’on écrase au passage, c’est le deuil. Comment faire le deuil d’un proche ni mort ni vivant, mais branché pdt des années ? Comment faire le deuil quand on n’a pas eu le temps de tenir la main et de partager en silence ce départ, de se dire au-revoir, de donner peut être, l’autorisation de partir au cancéreux en phase terminale qui s’accroche par amour pour ses enfants et craint de les laisser ? Pas besoin d’euthanasie très souvent quand les au revoirs ont eu lieu. Le malade qui vit encore et en souffre doit être aidé à penser ce qui le rattache à la vie. l’esprit est assez puissant pour nous maintenir ou nous achever, très souvent la technique est superflue.
On aurait moins besoin de technique si on acceptait que la mort est un moment de la vie et que ce moment demande à être vécu bien. Je ne dis pas que je n’envisagerais pas le suicide dans une situation extrême de souffrance, il ne faut jamais dire jamais, et peut être n’aurais-je pas la force de lâcher prise pour épouser la souffrance, car l’âme et le spirituel sont écrabouillés parfois par la douleur du corps, on ne peut ni respirer ni penser, ni aimer quand on a trop mal et je suis la première à sentir mon âme empalée par trop de fatigue. Mais nous n’avons pas besoin de lois pour cela, ou le moins possible, je ne vais pas renier le travail de Gisèle Halimi, mais 1974 n’est pas 2010 et ce n’est pas parce qu’on cesse d’interdire qu’il faut encourager. Une amie enceinte me disait l’autre jour avoir été surprise au téléphone. En contactant le cabinet du gynécologue, elle demande à la secrétaire un RV en précisant qu’elle est enceinte. Réponse « c’est pour un avortement ? » C’est comme le kiri, ça se passe de commentaire.
On veut tout décider mais sans prendre aucun risque. Il est là le fléau de notre époque. Pouvoir tout faire et ne rien assumer. Pouvoir tout agir et ne rien penser. Etre toujours en fuite et jamais où on est attendu. Sur messenger quand on est à table, au travail quand il faut être au chevet. Notre société est empêtrée dans ses fantasmes de toute-puissance : veut la précaution totale, et la liberté totale ; C’est-à-dire que notre société à 2 ans et demi d’âge mental, et n’a pas accepté la castration. Le risque zéro n’existe pas plus que l’absence de contrainte, et c’est de ce terreau qu’émerge notre liberté, limitée mais réelle.
Ah oui, quelle hygiène et quelle précaution, dans cette mode qui consiste à donner des pilules aux jeunes femmes pour qu’elles aillent avorter chez elle. C’est bien, c’est propre, ça dépasse pas. C’est un beau déni. La violence est muette, mais elle n’en n’est pas moins réelle.
Enfin, je crois qu’il faudra un jour parler de la transmission, de l’inscription. L’individu s’inscrit dans une chaîne, dans un tout, et ce que les députés ignorent, c’est que chez certains mourants, qui ne croient pas en Dieu d’ailleurs, il y a un lâcher prise sublime, une sagesse : ils ne sont plus que souffrance, leur souffle est ténu, mais ils ont le calme de ceux qui ont vécu et qui peuvent partir, sans hâte. Ils n’ont pas besoin d’une loi. Les uns partiront tranquillement, les autres demanderont un peu plus de morphine car la douleur s’est transformée en angoisse et qu’ils préfèrent s’éteindre un peu plus vite. Le médecin spécialiste de la douleur le sait, les proches le savent.
Et puis, dans le fond, ça me fait rigoler, cette lubie de faire des lois sur tout comme si tout pouvait être mis en équation et en boîte. Mourir, n’est-ce pas beaucoup plus qu’arrêter de vivre ?

Marie-Estelle Dupont

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